Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Mille vies en une
15 février 2018

Quand Laurent Gaudé et Thierry Escaich s'associent, le résultat est...glaçant!

Qui a dit que la musique "classique contemporaine" (belle oxymore sur laquelle on pourrait gloser) était ennuyeuse? Pas moi! Et encore moins lorsque celle-ci s'associe à un texte lu, créant ainsi une performance unique (c'est le cas de le dire, puisque cette performance ne s'est jouée qu'une fois).

Pour remettre les choses dans leur contexte, ce concert était le concert d'ouverture du festival Présences, réalisé entre le 6 et le 11 février à la maison de la radio. Il s'agissait d'un festival réalisé en hommage à Thierry Escaich (l'artiste de notre soirée), compositeur et interprète d'orgue officiant à l'Eglise Saint-Etienne-du-Mont.

N'étant pas passionné d'orgue, je vous parlerai avant tout de la deuxième partie du concert "cris" : le concert symphonique. C'était un concert un peu particulier. Pour vous représenter les choses, dans un concert symphonique les instruments sont généralement rassemblés par "famille" (les cuivres ensembles, les cordes ensembles, les percussions ensembles...). Celui-ci ne dérogeait pas à la règle. Son originalité tenait cependant des instruments présents sur scène:

-des cordes (violons, violoncelles et contrebasses)

-des percussions (divers tambours que je ne saurais nommer, des xylophones, et même un instrument produisant des sons de cloches)

-un choeur d'hommes et de femmes, répartis par voix, de la plus aigue à la plus grave

-un piano

-...et un accordéon (si, si!)

Le chef d'orchestre tenait sa place habituelle, c'est-à-dire face aux musiciens et aux chanteurs (les chanteurs à l'arrière, les musiciens devant). Mais sur le côté, sur une petite estrade se tenait un homme, un texte à la main. Vous l'aurez peut-être deviné, c'était notre auteur, Laurent Gaudé.

Le résultat de cette collaboration, c'est un spectacle saisissant, dans lequel l'auteur se fait narrateur et donne une voix tangible à ses personnages. Pendant que l'auteur/narrateur nous fait entendre les voix de ses personnages, de ces soldats au front, la musique se fait de plus en plus angoissante, gagne en intensité dans les moments de combats, se fait plus douce mais tout aussi insistante lorsque l'un des personnages retourne à l'arrière...

Le texte lui-même puise sa force dans la description des horreurs des combats dans toute leur intensité. On arrive facilement à se figurer l'état d'esprit des personnages, entre la peur, la haine de l'ennemi sans visage, mais par-dessus tout, l'envie de vivre.

A titre d'exemple, voici un extrait, le tout début du livre, que l'on a pu entendre à l'occasion de cette performance. Ces pensées sont celle du soldat en permission qui quitte le front, mais qui reste hanté par les horreurs de la guerre : 

"Je marche. Je connais le chemin. C'est mon pays ici. Je marche. Sans lever la tête. Sans croiser le regard de ceux que je dépasse. Ne rien dire à personne. Ne pas répondre si l'on s'adresse à moi. Ne pas se soucier, non plus, de ce sifflement dans l'oreille. Cela passera. Il faut marcher. Tête baissée. Je connais le chemin par cœur. Je me faufile sans bousculer personne. Une ombre. Qui ne laisse aucune prise à la fatigue. Le sifflement dans mes oreilles. Oui. Comme chaque fois après le feu. Mais plus fort. Assourdissant. Le petit papier bleu au fond de ma poche. Permission accordée. Je suis sourd mais je cède ma place. Au revoir Marius. Je lui ai tendu le papier bleu qu'on venait de m'apporter. J'avais honte. Je ne pouvais pas lui annoncer moi-même que j'allais partir et qu'il allait rester. Le sifflement dans mes oreilles. Ne pas s'inquiéter. Tous sourds. Oui. Les rescapés. Tous ceux qui ont survécu aux douze dernières heures doivent être sourds à présent. Une petite armée en déroute qui se parle par gestes et crie sans se comprendre."

C'est donc une oeuvre saisissante que j'ai pu découvrir à l'occasion de la commémoration de la guerre de 1914-1918, qui relate les horreurs de la guerre mais qui nous exhorte aussi à ne pas oublier. Bien que celle-ci ne fût pas la "der-des-der", il nous revient de nous souvenir pour ne pas prendre le même chemin.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Mille vies en une
Publicité
Archives
Publicité